Dé san qu’y a dèz hounnous â mondou
Qu’ant dès uyous dzot let pennons,
Dé san qu’ nôtra taira est ronda
Qu’la vâlà n’est pai en amont
Tout tsaicon deu, fâ bin lou crerre
Qu’i n’y a ran d’té qu’ nôtrou Sadjet
Que stet qu’en sont peuillant se r’crerre
On ptet pô pleu qu’ s’l’érant français !
Depuis qu’il y a des hommes au monde
Qui ont yeux sous les sourcils
Depuis que notre terre est ronde
Que la descente n’est pas en montée
Chacun dit, il faut bien le croire
Qu’il n’y a rien de tel que notre Saugeais
Que ceux qui en sont peuvent « se croire » (1)
Un petit peu plus que s’ils étaient français
(1) s’enorgueillir
COMMENTAIRE : à l’occasion d’un comice agricole, les habitants ont rédigé un arc de triomphe avec cette inscription : « Les Saugets à leurs amis les Français !... » On répondit à leurs avances par des articles humoristiques publiés un peu partout, et jusque dans la grande presse parisienne.
Les Saugets, gens sages, ne daignèrent même pas s’en froisser.
Refrain
C’est let vrais Sadjets finra fonta
D’l’Abbaye, d’la Tsâ, d’en Dzillie, d’Léramont
I s’vendraient pleu tcheu dans na monta
Qu’la Franc’, qu’la Sutch, qu’les Rmourots, qu’lèz Larmond
C’est let vrais Sadjets finra fonta
D’l’Abbaye, d’la Tsâ, d’en Dzillie, d’Léramont
Ce sont les vrais Saugets « fine fonte »
De Montbenoit (1), de la Chaux, de Gilley, de Lièvremont
Ils se vendraient plus cher dans une « monte » (2)
Que les Français, les Suisses, les Remonots, les Larmond (3)
Ce sont les vrais Saugets « fine fonte »
De Montbenoit (1), de la Chaux, de Gilley, de Lièvremont
(1) en sauget, on ne dit jamais « Montbenoit », mais « l’Abbaye »
(2) vente aux enchères
(3) les quatre frontières du Saugeais
COMMENTAIRE :
Arçon, deuxième pays saugeais défriché et construit par les chanoines réguliers de St Augustin, des colons du canton suisse des Grisons et des savoyards au XIIe siècle, a vu naître le Baron Général MARGUET, fils de Jean Joseph et de Anne TISSOT le 13 janvier 1773. Caporal au 7e Bataillon des volontaires du Doubs le 7 avril 1792, nommé Lieutenant par le Général Bonaparte le 27 avril 1801, Colonel-Major de la Garde Impériale le 23 juillet 1813, Général de Brigade le 14 septembre 1813, tué d’un coup de feu dans le village de la Rothière le 10 février 1814.
Les vîllous diant qu’ c’est tsie la graina
Qu’ lou Bon Due créeur lou Sadjet ;
Mais pou li fair’ na s’bourra téta
L’a gros mareillie son maittlet ;
Quand l’eur’ fini, c’est pai tout çan,
Lou pu n’va pai sain la dzeurna
D’na Rén’ Mairgritta, mèz enfants
Lou Bon Due treur’ nôtra Sadjeta.
Que le Bon Dieu créa le Sauget ;
Mais pour lui faire une si bonne tête,
Il a joliment manié son marteau ;
Quand il eut fini, c’est pas tout ça,
Le coq ne va pas sans la poule,
D’une « reine-marguerite », mes enfants,
Le Bon Dieu tira notre Saugette.
COMMENTAIRE :
Que Dieu ait créé le Sauget le huitième jour, après son repos, et mécontent d’Adam, son premier ouvrage, c’est une tradition vieille comme nos sapins. On montre encore le rocher au coeur duquel Dieu taila son « chef-d’oeuvre » et peut-être aussi la pâquerette d’où naquit la première Saugette.
Let vîllous dian qu’su nôtret tairets
Dan lou tin ran n’pouillet bussai ;
N’y avait qu’ det batsots pu des piairets
C’est det moines qu’sont vru èpiairrai ;
L’ant s’bin cruillie, plainrai, rbatai
qu’ djairi maintrant tout tsie avâ
let setteuts sôlant d’entsaplai
Tant y’a d’butin dans let coeumrâs.
Les vieux disent que sur nos terres
« Dans le temps » rien ne pouvait pousser ;
Il n’y avait que des buissons et des pierres
Ce sont des moines qui sont venus défricher.
Ils ont si bien creusé, raboté, roulé (1)
Que, par contre, maintenant tout « tombe en bas » (2)
Les faucheurs fatiguent de battre leur faux,
Tant il y a de « butin, dans les communaux ». (3)
(1) Passer le rouleau. Ces deux vers sont à gros fracas.
(2) Expression qui désigne l’extrême abondance.
(3) Champs communaux.
COMMENTAIRE :
L’abbaye, dont le territoire comprenait douze villages, fut donnée par le Sire de Joux vers 1150 à des Bénédictins, auxquels succédèrent des chanoines réguliers de Saint Augustin. Avec les premiers Saugets, venus de Savoie ou du canton des Grisons, il défrichèrent le pays qui, avouons-le, est un peu moins fertile que le ferait croire ce couplet !
Let vîllous diant qu’ l’avaient gros sutou,
Quand let Suéd airveurant tsie no
Nôtre maisons breuleurant tutet
I n’y dmoureur’ que let batsots ;
S’maintrant let Suéd vouillint rveri
Y an airet dret pou na moulâ
pou aveu st’ huai du bon bresi
On let pendrait a la Tsemrâ.
Les vieux disent qu’ils avaient grand’peur,
Quand les Suédois arrivèrent chez nous ;
Nos maisons brûlèrent toutes,
Il n’y resta que des buissons.
Si maintenant les Suédois voulaient revenir,
Il y en aurait juste pour une « aiguisée » (1)
Pour avoir cet hiver du bon « bresi » (2)
On les pendrait à la cheminée. (3)
(1) Espace fauché entre deux aiguisées
(2) Viande de vache, salée et fumée
(3) La grande cheminée centrale, à vantaux
COMMENTAIRE :
en 1639, Bernard de Saxe-Weimar envahit la Comté ; Pontarlier fût brûlé. Les villages saugets devinrent aussi la proie des flammes. Le chef suédois avait établi son quartier général à Montbanoit ; ses soldats y commirent des attrocités inouïes. Après quelques mois, la famine survint, puis la peste. A la montagne, le nom de « suédois » est resté le symbole de la dévastation, l’incarnation du mal.
Quand la Franç’ fassait set grand’guairret
Lou Sadjet ér’ toudj’ lo premie ;
C’est toudj’ aitait dans nôtrou Cairou
qu’ l’a pret set pleu fau grenadie ;
Sin la Tsoulta, sin lou Pulet
qu’est c’qu’airait fait Napoléon
Tret cent Pruscots dans yeu coursets
N’vaillaint pai na rouba d’tsairton.
Quand la France faisait ses grandes guerres,
Le Saugeais était toujours le premier ;
C’a toujours été de notre coin (de terre)
Qu’elle a pris ses plus forts grenadiers.
Sans la Chevrette, sans le Pulet, (1)
Qu’est-ce qu’aurait fait Napoléon ?
Trois cent Prussiens dans leurs dolmans
Ne vallaient pas une « blouse de Charreton ». (2)
(1) Deux hameaux minuscules
(2) Vieux costume sauget
COMMENTAIRES :
Dans ce couplet, il y a une forte dose d’ironie ; l’hyperbole est à la mode chez nous. Pourtant, il est vrai de dire que, dans nos montagnes, le France recrutait de bons et solides grenadiers. L’un d’eux, engagé volontaire en 1793, dans le bataillon Loiseau, est devenu le Général de Division Comte Morand. Il était en Egypte, à Austerlitz, à Iéna, à la Moscowa où il eut la mâchoire fracassée, à Lutzen, à Bautzen, enfin à Waterloo, où il commendait les chasseurs à pied de la garde. Napoléon l’estimait fort et l’avait fait Comte. Devenu Pair de France, le Général s’en revint au Saugeais où il cultiva ses champs, qu’il n’avait quittés que pour le drapeau. Ses restes reposent au cimetière de Montbenoit.
Let Sadjets anmant la dzensainra
Lou sèrat pu lou sapiket
I moudjant gros, beillant a pinra
Mais çan ne rvaud’ pai les Français ;
L’anman câzai, berre et tsantai
Berre en câzan, berre en tsantant
I n’voyant grie, mai pouquet pai,
La bouteil’ que quand n’y a pleu ran
Les Saugets aiment la gentiane
Le « Séra » et le « Saupiquet » (1)
Ils mangent beaucoup, boivent un peu, (2)
Mais ça ne regarde pas les Français.
Ils aiment causer, boire et chanter
Boire en causant, boire en chantant, (3)
Ils ne voient avec peine (mais pourquoi pas ?)
La bouteille que quand il n’y a plus rien (dedans).
(1) Plat d’oignons
(2) Litote. Ils boivent ferme.
(3) Remarquez l’harmonie de ces deux vers
(4) Grie, du latin grave - graviter.
COMMENTAIRE :
Dans beaucoup de fermes, on distille encore la gentiane, qui est considérée comme la « liqueur nationale ». Les Saugets ont d’ailleurs la réputation de boire... sec ! Mais, ici encore, il y a une petite exagération consentie à la malignité des voisins, fâchés d’être de race moins privilégiée.
Les Sadjets ant dans yeu gairgueuta
Des mouts qu’nion n’saît cman yeu, rdâtai
L’an pairki cmant na pteta rota
qu’a toudj’ loulzi d’let sacrôlai :
La tsîra qu’ minre, la lra que rlut
La tsrâ, la creuille, lou daidjuron
Lou dzreu d’la dzrensse, lou tsri qu’est tru
Y a d’quet aipouairie lèz Larmond.
Les Saugets ont dans leur gosier
Des mots que personne ne sait, comme eux, rouler (1)
Ils ont par là comme une petite souris
Qui a toujours le loisir de les secouer : (2)
La chêvre qui « mène », la lune qui brille, (3)
Le chéneau, la quenouille, le déjeuner,
Le genou de la génisse, le cabri qui est tenu,
Ils y a de quoi épouvanter les « Larmond ».
(1) Litt. Faire sauter
(2) Litt. Cahots d’une voiture à échelles qui passe sur les cailloux.
(3) Enumération de mots où n intervocalique est changée en r. La prononciation rapide de ces quatre vers n’est guère possible qu’aux indigènes.
COMMENTAIRE :
Ce couplet est, à vrai dire, intraduisible ; le français n’en saurait donner qu’une vague idée : c’est du Sauget pur. Les mots et les expressions ont un goût de terroir que les « étranger » sont incapables d’apprécier et même de soupçonner : d’où le mot de la fin. Les Saugets le préfèrent à tous les autres, cela va sans dire, et le débitent avec une volubilité pittoresque.
Tant qu’ l’avill’ vâdra mie qu’la vouépa
Tant qu’ l’avill’ vâdra lou tiercelet
Tant qu’ la baloch’ vâdra la pnéla
Lou Bon Due anmra lou Sadjet
pu tant qu’lou fmie vâdra lou pan
Pu tant qu’ l’au vâdra mie qu’ l’airdzent
Tant pie pou c’tet qu’sont mà contents
No vâdran mie qu’lèz âtret dzens !
Tant que l’abeille vaudra mieux que la guèpe,
Tant que l’aigle vaudra le « tiercelet »,
Tant que la prune vaudra la prunelle,
Le Bon Dieu aimera le Saugeais.
Et tant que le fumier vaudra le pain, (1)
Et tant que l’or vaudra mieux que l’argent,
Tant pis pour ceux qui ne sont pas contents,
Nous vaudrons mieux que les autres gens !
(1) Proverbe :
Qu’vend sou fmie don pan
Qui vend son fumier vend son pain
COMMENTAIRE :
Dans ce couplet sont réunis les dictons et proverbes par lesquels les « anciens » avaient coutume d’affirmer leur supériorité sur les voisins, notamment sur ceux de Pontarlier et de Morteau. Ceux-ci ne s’étaient-ils pas permis de dire « quand les Saugets feront bien, les lièvres prendront les chiens » ?
Ch. Joseph BOBILLIER